Lisbonne, oui ! Mais pas pour la triennale d’architecture

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Le Portugal passe pour une contrée bénie par les dieux de l’architecture, au moins depuis la Révolution des œillets en 1974. Avec à peine plus de 10 millions d’habitants, le pays compte un nombre rare de maîtres d’œuvre de talents, parmi lesquels deux lauréats du Pritzker (le « Nobel » de l’architecture), Alvaro Siza et Eduardo Souto de Moura. Il faudrait aussi évoquer Fernando Tavora, disparu en 2005, qui aida son pays à traverser le désert culturel des années Salazar.

CRISE ET NÉCESSITÉ

Aussi, lorsqu’on apprend que s’ouvre à Lisbonne une triennale d’architecture, la troisième du genre, baptisée en anglais Close, Closer (« proche, plus proche »), quel individu vaguement doué de l’esprit de géométrie ne s’y précipiterait pas, par curiosité et sympathie ? Le contexte actuel de la crise, qui malmène particulièrement le pays, rend soudain le voyage nécessaire.

De fait, on le constate vite dans la capitale portugaise : des sans-abri en foule, une myriade de commerces fermés, des travaux partout arrêtés ou presque, et d’impressionnantes séries d’immeubles aux fenêtres closes ou brisées, laissés à l’abandon, ruinés. Certains sont ainsi depuis bien avant la crise, mais cette dernière aggrave lentement la situation urbaine. Le temps ici est nonchalant.

Même Belem, ancien port devenu partie intégrante de la ville, est touché par la déshérence. Le signe le plus visible en est un grand édifice tout juste achevé mais encore cerné de barrières de chantier. Pas d’indications : on apprendra qu’il s’agit d’un nouveau musées des carrosses, à proximité de l’ancien, donc du couvent des Jeronimos, et dont l’emplacement est symétrique du Centre culturel Belem (CCB), œuvre massive (1992) de l’Italien Vittorio Gregotti et de Manuel Salgado. Le nouvel édifice, assez solide lui aussi mais qui laisse imaginer de belles clartés, est dû au Brésilien pauliste Paulo Mendes da Rocha, autre récipiendaire du Pritzker. Depuis 2010, le projet s’est enlisé dans les polémiques, un dernier report de son ouverture la plaçant en 2014. Le temps de transformer les carrosses en citrouilles ?

D’autres métropoles ont leur triennale, qui ouvrent d’ailleurs toutes en même temps, comme Milan et Oslo. Quelques-unes ont leur biennale, comme Venise et Bordeaux. Ces manifestations s’appuient, comme à Lisbonne, sur le dynamisme architectural des villes et, pour exister dans un contexte financier difficile, elles s’arrangent pour accrocher à leur label toutes les manifestations architecturales susceptibles d’attirer le public, des expositions ou des colloques « off ».

A Lisbonne, le bâtiment de Mendes da Rocha se trouve à proximité d’une ancienne usine d’électricité, devenue Museu da Eletricidade, qui accueille une manifestation placée à l’enseigne du futurisme, en fait un pot pourri de stéréotypes navrants. La confrontation pouvait être l’occasion d’un atelier, de visites, de débats… Rien de tout cela. Close, Closer joue la distance plutôt que de rapprocher les situations de l’architecture.

DEUX EXPOSITIONS INTELLIGENTES

Deux expositions lisboètes intelligentes auraient pu enrichir cette triennale. L’une est consacrée à Sou Fujimoto, architecte japonais à la pensée bucolique, explosée, somme toute elle aussi futuriste (elle aurait pu faire écho à l’exposition de l’usine). L’autre, présentée au vieux Palacio de Loreto, met en scène les dessins de Siza pour la reconstruction du Chiado (quartier incendié en 1988). Cette dernière aurait pu faire le pendant, même lointain, à une des initiatives de la triennale dans un ancien Palais de la ville, rebaptisé Carpe Diem :  The Real and Other Fictions, sorte d’happening célébrant la citoyenneté. Hélas, ce genre de sérieux n’est pas de mise. D’architecture et de réalité, il n’est question nulle part. L’effort aurait été trop grand.

UNE PARESSE MAXIMALISTE ET LUDIQUE

Les commissaires de la triennale de Lisbonne ont opté pour une paresse maximaliste et ludique, des jeux bavards d’étudiants attardés, déconnectés des rigueurs de la vie. Mais ce qui est possible dans une école, où l’on se préoccupe encore d’ouvrir l’esprit des élèves aux mille et une dimensions de l’architecture, devient  ici aussi insignifiant qu’infantile.

La dispersion des sites prêtés aux organisateurs a au moins un mérite : permettre aux  visiteurs de découvrir les hauts et les bas de Lisbonne, et Dieu sait s’ils sont nombreux dans la ville aux sept collines ! Alors, Lisbonne oui, mais pour ce qu’elle enseigne sur la gravité des maux urbains, pour sa beauté résiliente, pas pour cette triennale prétentieuse et naïve.

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